Voici un extrait d'un bel article du Monde :Les Blancs sont parfois déconcertants, analyse Mudeya, en secouant la tête. "Ils escaladent les montagnes suspendus dans le vide, ils sautent en parachute, ils traversent l'océan, ils foncent sur les routes à moto... Ils oublient qu'ils viennent simplement d'un homme et d'une femme. Et qu'ils sont mortels." Allons ! Les Papous n'affrontent-ils pas eux aussi la mort lors de leurs nombreuses guerres tribales ? "C'est vrai qu'on se bat souvent, pour de la terre, pour des femmes, pour des cochons, mais ça ne dure jamais très longtemps et il suffit de faire attention aux flèches ! affirme Mudeya, réputé pour ses qualités de stratège. Je sais cependant, par la Bible, que tuer quelqu'un équivaut à manger son sang et que ce n'est pas bien."
La Bible ? Vous connaissez donc la Bible ? "Par les missionnaires blancs ! Ils sont arrivés un jour, ils ont critiqué toutes nos anciennes croyances et interdit nos traditions en disant que c'était primitif. Avant, par exemple, on installait nos défunts au faîte des arbres et quand on sentait l'odeur de putréfaction, on pensait que le mort nous parlait une dernière fois, mais que son esprit resterait là où nous vivions." Et maintenant ? "Eh bien, on croit comme les Blancs : il y a un enfer pour les mauvais et un paradis pour les gentils. On nous a expliqué que notre esprit n'irait nulle part si nous n'étions pas catholiques. Alors on s'est appliqué à apprendre l'histoire des sept ou huit sacrements, les dix ou onze commandements..."
Le problème, ajoute Polobi l'air sévère, c'est que les Blancs ne respectent pas la Bible. Il suffit de regarder dans les rues... "Vous avez de superbes maisons, mais vous avez oublié la compassion et le partage. Les Papous partagent tout ce qu'ils ont, personne ne reste seul ou ne meurt de faim. Ici, dans ce pays où il y a de si belles maisons, j'ai vu des gens qui avaient froid et faim."
Pire, dit Mudeya : des gens misérables et humiliés. "Oui, oui ! J'ai vu ! Dans une cité de la banlieue du Havre où on a fait un tour. Les immeubles étaient moches, cassés, ça sentait l'urine. Et les habitants étaient des étrangers, notamment d'Algérie. Moi, j'ai trouvé ça terrible. Quand ils voient les belles maisons d'à côté et les villages tout propres, ça leur fait honte. Et quand on a honte, on a de la colère. Je l'ai bien senti, et c'est normal. Alors, vous devriez faire attention. Un jour, je ne serais pas étonné qu'ils se réunissent et qu'ils cassent tout ! Ça m'inquiète, vous savez. Ces gens qui viennent s'établir sur votre terre, je crois que vous ne les accueillez pas bien."
Oh, certes, les deux Papous touristes n'ont pas eu à pâtir de la méfiance des Français. Au contraire, disent-ils, c'est merveilleux comme les portes se sont ouvertes, comme ils ont multiplié les expériences, comme ils ont appris "plein de jolis sentiments". Il y eut, par exemple, cette cérémonie du 11-Novembre, près du monument aux morts d'un petit village de Champagne (Bétheny) où Mudeya, devant un groupe de militaires et d'hommes habillés en poilus de la guerre 14-18, a pris spontanément la parole - il adore les palabres - pour dire sa stupéfaction qu'ait pu exister guerre aussi meurtrière et adresser ses félicitations à la population pour savoir rendre hommage aux anciens et aux morts. "Je croyais que les Blancs ne se souciaient pas du tout de leurs ancêtres. C'était une fausse rumeur ! Et cela me touche."
Il y eut cette visite, en Bretagne, dans un élevage porcin où, constatant en professionnels la bonne santé des truies et de leurs petits, ils ont demandé où étaient les mâles. "Il n'y en a pas", a répondu l'éleveur. Les yeux des Papous se sont exorbités : "S'il y a des petits, il y a forcément des mâles !" Leur hôte a pris l'air malicieux en leur tendant une pochette en plastique d'où partait un tuyau : "Tout est là !" Les Papous n'étaient pas sûrs de comprendre. "Venez donc m'aider, a proposé l'éleveur. Tenez le sachet de sperme, Mudeya. Nous allons inséminer une femelle." Le Papou a failli tomber à la renverse : "Je vais faire un petit à un cochon..." Ce souvenir le plonge encore aujourd'hui dans une grande perplexité. "Faire des enfants sans papa ! Le Blanc est capable de toutes les folies ! Le Blanc recule toujours plus loin les limites de l'imagination. Il n'y a plus rien d'incroyable !"
Il y eut cette visite à l'Assemblée nationale, dont ils sont ressortis en notant : "Vos chefs sont comme les nôtres ; ils sont flatteurs, ils parlent beaucoup." La déambulation qui s'est ensuivie sous les dorures de l'hôtel de Lassay a inspiré à Mudeya un léger doute : "Je me demandais où passait tout l'or extrait de Papouasie..." Il y eut la découverte du fabuleux château des Milandes, en Dordogne, où les Papous se sont révélés "surpris et vraiment ravis" d'apprendre qu'une femme noire célèbre - Joséphine Baker - avait occupé les lieux. Et puis l'expérience des vignobles, d'où les Papous sont ressortis plus que légèrement pompettes.
Il y eut enfin ce grand moment au Moulin Rouge où les deux compagnons portaient exceptionnellement costume et cravate. Le spectacle, les avait-on prévenus, était célèbre dans le monde entier, nos amis étaient donc très impatients. Quand les danseuses sont arrivées sur scène, ornées uniquement de plumes, seins et fesses à l'air, les Papous ont frôlé l'apoplexie. Ils se sont tournés vers Marc Dozier, une main sur la bouche, le souffle coupé : "Oh la la ! Est-ce que le gouvernement est au courant ?
- Bien sûr, c'est un spectacle très connu, très officiel.
- Mais est-ce qu'il sait que les danseuses montrent leurs jambes ?"
Mudeya en parle encore comme de la grande émotion de son séjour. Les femmes papoues, dit-il, ne peuvent exhiber leurs jambes de cette manière. "Au début, j'étais choqué et je me suis recroquevillé. A la fin, j'étais presque amoureux et je me suis mis debout pour mieux voir !" Les danseuses, après tout, ne font qu'entretenir une tradition française et c'est très respectable, remarque Polobi. "Elles prennent soin de leurs parures et de leurs plumes exactement comme nous !"
Ils sont intarissables sur les femmes françaises. D'abord, première remarque de Palobi, "elles sont travailleuses et gratuites", ce qui lui paraît enviable quand on sait qu'épouser une femme papoue coûte au minimum une trentaine de cochons. "Evidemment, poursuit Mudeya, quand on l'a payée, on la domine. On a non seulement acheté son visage, ses jambes, ses bras, sa poitrine, mais aussi sa force de travail, et tout son temps. Elle doit s'occuper des enfants, des cochons, du feu et de la maison. Tandis que chez vous..." Elles sont beaucoup plus libres, note-t-il. Elles vont et viennent, elles savent écrire et conduire une voiture, elles sont chefs dans des bureaux, elles décident... "Elles n'ont pas de barbe ni de pénis, mais elles se comportent en hommes ! Et cela m'inquiète pour notre avenir. Comme les Blancs nous influencent toujours, j'ai peur qu'un jour nos femmes, trop instruites, veuillent aussi devenir nos chefs. Alors ce serait la fin, car elles ne voudraient plus jamais épouser des cultivateurs et des primitifs comme nous."
L'article en intégralité :
http://medias.lemonde.fr/mmpub/edt/ill/2007/03/14/h_3_ill_882892_07031524_papous+x1p1_ori.jpg